lundi 18 mars 2013

Echos de la Réunion


Les Salazes

Elles sont trois. Noires comme charbon dans la nuit claire des tropiques. Telles les Parques veillant sur nos destinées. Femmes stupéfiées de douleur. Figées sur l’arrête rocailleuse. Solides comme granit au grand air des hauts. Nées d’un père totocheur, fulminant, imprévisible. Le dénommé Vulcain à ce jour interné. Assujetti aux profondeurs du monde. Mais toujours bouillant et grondant. Toujours menaçant. Jusqu’au prochain séisme. A l’élan ravageur qui les jettera à bas.
Elles sont trois. Se parant de reflets azuréens dans la pâleur de l’aube. Qui tiennent réunion en équilibre au rebord du cirque. Elles rêvent en leur jeunesse d’une terre de métissage que de vaillants marins viendraient ensemencer. D’un monde outremer au carrefour des peuples, d’une terre d’accueil, d’une île … où il ferait bon vivre, d’un paradis inscrit au patrimoine de l’humanité.
Elles sont trois. Minérales. Parsemées d’éclats de feu sous les rais du soleil au zénith …. Qui témoignent des esclavages qui les fige en cet endroit : violence du père, violence du frère, violence du mari, violence de l’oncle. Des siècles de manipulations quotidiennes, d’infinies tortures, de soumissions, d’humiliations que ni l’affranchissement des esclaves, ni la fin de l’engagisme, ni les lois de la République n’ont su étancher, ne purent apaiser, n’ont effacés.
Elles sont trois. Qu’on désigne du nom de Salazes. Solides au grand air des hauts. Elles veillent sur le grouillement des populations des bas. Bravant la morsure des alizés, la pluie battante, la rage du cyclone. A leurs pieds un cadavre de dodo ; non pas l’opulent pigeon pacifique mais bien hélas la bouteille aux remugles de bière. Non loin de là une pile plate. Elle ne vous aidera à y voir que double ou triple rendant la descente plus périlleuse encore que l’ascension. Descente aux enfers entre des sites sublimes car les sbires de Vulcain sont là : Gnomes à visage humain, prunelles étincelantes d’un éclat divin, mais repus d’alcool, armés de chiens, bardés de certitudes, saoûlés du discours de leurs droits, ivres de revanche sur le sort fait aux ancêtres, prompts à l’éclat de voix, au coup de ceinture, et la main lourde, surtout pour l’enfant, surtout pour la femme.
Les trois commères à jamais se sont tues, figées de honte et rage contenues, attendant dans l’ombre qui les gagne que d’autres voix s’élèvent, que femmes témoignent pour que l’oncle, le mari, le frère, le père redevienne gentil sans être niais, inculte ou brutal, manipulateur ou pervers, fainéant et vindicatif….
Est-ce par dieu possible ?
Serait-ce trop demander ?
Par les bas, au parc du colosse à Saint-André, les Femmes Solid’Air ont replié leur stand.
Par les hauts, de nouveau la nuit tombe sur les Salazes redevenues de cendre puis d’anthracite,

noires comme charbon

 Albert Dégardin le 19/3/2011

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