dimanche 24 mars 2013

victor hugo


Joyeuse vie.


Bien ! pillards, intrigants, fourbes, crétins, puissances ! 
Attablez-vous en hâte autour des jouissances ! 
Accourez ! place à tous ! 
Maîtres, buvez, mangez, car la vie est rapide. 
Tout ce peuple conquis, tout ce peuple stupide, 
Tout ce peuple est à vous !

Vendez l'état ! coupez les bois ! coupez les bourses ! 
Videz les réservoirs et tarissez les sources ! 
Les temps sont arrivés. 
Prenez le dernier sou ! prenez, gais et faciles, 
Aux travailleurs des champs, aux travailleurs des villes ! 
Prenez, riez, vivez !

Bombance ! allez ! c'est bien ! vivez ! faites ripaille ! 
La famille du pauvre expire sur la paille, 
Sans porte ni volet. 
Le père en frémissant va mendier dans l'ombre ; 
La mère n'ayant plus de pain, dénûment sombre, 
L'enfant n'a plus de lait.

(...)


Ô paradis ! splendeurs ! versez à boire aux maîtres ! 
L'orchestre rit, la fête empourpre les fenêtres, 
La table éclate et luit ; 
L'ombre est là sous leurs pieds ! les portes sont fermées 
La prostitution des vierges affamées 
Pleure dans cette nuit !

Vous tous qui partagez ces hideuses délices, 
Soldats payés, tribuns vendus, juges complices, 
Évêques effrontés, 
La misère frémit sous ce Louvre où vous êtes ! 

Dîner de charité au palais de Fredensborg

C'est de fièvre et de faim et de mort que sont faites 
Toutes vos voluptés !

À Saint-Cloud, effeuillant jasmins et marguerites, 
Quand s'ébat sous les fleurs l'essaim des favorites, 
Bras nus et gorge au vent, 
Dans le festin qu'égaie un lustre à mille branches, 
Chacune, en souriant, dans ses belles dents blanches 
Mange un enfant vivant !

Mais qu'importe ! riez ! Se plaindra-t-on sans cesse ? 
Serait-on empereur, prélat, prince et princesse, 
Pour ne pas s'amuser ? 
Ce peuple en larmes, triste, et que la faim déchire, 
Doit être satisfait puisqu'il vous entend rire 
Et qu'il vous voit danser !

Qu'importe ! Allons, emplis ton coffre, emplis ta poche. 
Chantez, le verre en main, Troplong, Sibour, Baroche ! 
Ce tableau nous manquait. 
Regorgez, quand la faim tient le peuple en sa serre, 
Et faites, au -dessus de l'immense misère, 
Un immense banquet !

(...)

Ah ! quelqu'un parlera. La muse, c'est l'histoire. 
Quelqu'un élèvera la voix dans la nuit noire. 
Riez, bourreaux bouffons ! 
Quelqu'un te vengera, pauvre France abattue, 
Ma mère ! et l'on verra la parole qui tue 
Sortir des cieux profonds !

Ces gueux, pires brigands que ceux des vieilles races, 
Rongeant le pauvre peuple avec leurs dents voraces, 
Sans pitié, sans merci, 
Vils, n'ayant pas de cœur, mais ayant deux visages, 
Disent : — Bah ! le poète ! il est dans les nuages ! — 
Soit. Le tonnerre aussi.

Le 19 janvier 1853.



Victor Hugo.

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